Nous venons de publiez dans Les Echos (le 22/3/2025) une tribune rendant hommage à Jean-François Zobrist.
Vous trouverez ci-dessous le texte de cette tribune que nous avons soumis au journal (publié en l’état).
Un maître à aimer :
Hommage à Jean-François Zobrist [1]
Jean-François Zobrist, l’emblématique patron de FAVI, vient de nous quitter.
Au premier abord, il est étrange de parler d’amour à propos de cet ancien officier, rugueux et réservé. Il est surtout connu comme un penseur qui a révolutionné le management suscitant l’admiration du monde de l’entreprise. Et pourtant… La philosophie du « management par la confiance », qu’il appelait plus tard « l’entreprise libérée »[2] prône la liberté d’action des salariés, régie par deux valeurs : l’amour du client et la conviction que l’homme est bon.
En 2005, dès mon premier pas chez FAVI, j’ai reçu un cœur en laiton comme tout visiteur ou client. Mais pour que les salariés aient envie d’agir par amour du client, il fallait—selon Zobrist—qu’ils soient heureux, ce qui supposait qu’ils soient libres de s’auto-organiser. Ainsi, il n’a conservé que deux directions support : le commercial et les études/R&D (qui, entre autres, ont industrialisé un rotor innovant qui a équipé les premières Tesla) ; et il a progressivement supprimé les autres services, soit parce qu’ils rendaient les salariés malheureux par leur contrôle, soit parce qu’ils n’augmentaient pas l’amour du client.
La deuxième valeur—l’homme est bon—peut sembler rousseauiste. Zobrist considérait que les salariés sont intègres, non paresseux, intelligents, créatifs et animés par la volonté de bien faire. Mais si on verrouille tout, par crainte qu’ils ne volent, par exemple, alors ils pourraient finir par le faire.
Zobrist veillait à ce que personne ne soit laissé au bord de la route dans sa transformation managériale bienveillante, mais—comme il le disait—bienveillante implacablement. En 26 ans, il n’a licencié que trois personnes, dont un cadre qui avait refusé de discuter avec un opérateur. Il m’a dit : « Je n’accepterai jamais le mépris de mes chers ouvriers. » Pudique, Zobrist ne parlait pas d’amour envers ses salariés, mais il avait tout de même affirmé que
Si l’on n’aime pas les hommes, on ne peut pas être un bon patron.
Notre post LinkedIn annonçant la disparition de Zobrist et partageant son « Testament du management » a été vu par près de 190 000 personnes. Chacune d’elles pourrait inspirer autant d’organisations à suivre FAVI. Cependant, seuls leurs patrons ont le pouvoir d’engager une telle transformation. Et pour l’opérer, ils doivent abandonner leur égo et aimer leurs salariés. A ce jour, en France, plus de 400 organisations ont été « libérées. »
Quant à ceux qui ne sont pas dirigeants, Zobrist conseillait de ne pas baisser les bras et de transformer leur management dans leur propre espace de liberté.
Il était très conscient de la complexité d’appliquer sa philosophie et consacrait son énergie à la rendre accessible.[3] En revanche, il était convaincu qu’ignorer ses principes—c’est-à-dire persister dans un management classique qui rend les salariés malheureux, réduit leur performance et par conséquent, limite la création de valeur économique—ne menait pas au statu quo, mais à la disparition de l’entreprise.
Les études lui donnent raison : même pour une grande entreprise, sa durée de vie est estimée entre 15 et 20 ans.[4] En 1983, Zobrist a pris la direction de l’entreprise existant depuis 25 ans et avec une performance moyenne. Pendant 26 ans, sous sa direction—et plusieurs années après—FAVI était l’équipementier le plus performant d’Europe, portant son cash-flow net de 8 % à 20 % par an en moyenne. Même si les nouveaux propriétaires et dirigeants sont revenus à un management classique, FAVI continue sa résilience. Selon le dernier bilan, son chiffre d’affaires s’élève à 54,8M€ et son taux d’EBITDA à 9,3%.
Zobrist affirmait que, dans un monde où la consommation cède progressivement la place à la sobriété, seules les entreprises fondées sur la confiance et la liberté d’action des salariés survivront.
Un leader libérateur d’une organisation a commenté ainsi :
Zobrist était déjà un mythe et une référence absolue. Il entre dans la légende.
C’est à nous tous de faire vivre son héritage et de l’amplifier.
Isaac Getz est auteur, conférencier et professeur à l’ESCP
[1] Texte de la tribune soumis à Les Échos (paru le 22 Mars 2025).
[2] Zobrist, Jean-François. L’entreprise libérée par le petit patron naïf et paresseux. Le Cherche Midi, 2020.
[3] Voir le dépliant de huit pages où, en 2020, il a résumé sa philosophie : https://liberteetcie.com/2025/03/zobrist-2/.
[4] https://www.readkong.com/page/2021-corporate-longevity-forecast-as-s-p-500-lifespans-6167335.