Ces dernières années, j’ai souvent la surprise d’entendre un patron me raconter une histoire de libération de son entreprise. Dans tous ces cas, il y a toujours un homme ou une femme habités par le désir de créer un environnement de travail fondé sur la confiance et la responsabilité plutôt que sur la subordination et le contrôle. Et chaque entreprise co-construit son propre chemin de libération. Il n’y pas de recette, pas « d’entreprise libérée pour les nuls », pour reprendre le jeu de mots de Thierry Pick, patron libérateur de Clinitex.
Ces chemins sont à la fois fascinants et pleins de bon sens. Pour ne pas être leur seul témoin, je demande souvent à ces patrons libérateurs s’ils souhaitent de les décrire et les éventuellement partager. Ainsi, j’ai rencontré récemment un patron libérateur canadien Vincent Roy, un de deux copropriétaires de RG Dessin Industriel, Inc. basé au Québec. Oui, il y a de plus en plus d’entreprises libérées au Canada. Voici donc l’histoire de libération de leur entreprise.
Entreprise Libérée : RG Dessin Industriel, Inc.
par Vincent Roy
Qu’est-ce que RG
RG est une entreprise canadienne, fondée en 2004, qui se spécialise dans les services techniques pour vitriers. Nous réalisons des plans techniques pour la menuiserie architecturale, tels que les fenêtres, murs-rideaux et des lanterneaux.
Les gens
Chez RG, les propriétaires sont aussi des travailleurs et ont le même âge que les employés. Nous sommes tous diplômés d’une école technique en dessin. La situation familiale de chacun est semblable, soit en couple avec des enfants. Il y a 15 employés au moment de la libération. En 2018, la moyenne d’âge est de 37 ans.
Les valeurs
L’entreprise RG a une vision et des valeurs bien établies. L’humain est au centre de nos décisions. Nous désirons avoir un lieu de travail agréable où l’on peut se réaliser tout en gardant notre vie personnelle active. Nous engageons pour ce que les gens sont et non pour ce qu’ils peuvent faire. L’esprit d’équipe est important et nous avons toujours travaillé à la garder en force.
Avant la libération
En 2009, Vincent Roy, l’un des copropriétaires de RG, marche avec sa copine et son premier enfant. Il croise une maison à vendre charmante, mais qui a nettement besoin d’entretien. Il décide de faire une offre d’achat. Après plus d’un mois de négociation, les propriétaires vendent la maison à Vincent. Malheureusement, il ne reste que 2 semaines avant leur vacance annuelle sur la Côte Est américaine. Vincent décide d’engager plein de gens et leur donner le maximum de responsabilité et ensuite part en vacance. Comme il n’a pas de cellulaire, le chantier doit se gérer lui-même, sans patron. Ses amis présents avec lui en vacance lui rappellent régulièrement que le projet sera complètement à l’envers et que rien n’aura fonctionné pendant 2 semaines. Bien qu’il soit un peu inquiet, il fait confiance. En revenant de vacance, surprise, le chantier est pratiquement terminé; il ne reste que le plancher à vernir, lorsque les derniers ouvriers seront partis. L’idée d’une entreprise où les gens s’autogèrent vient de germer.
Congrès G500 à Montréal en 2017
Durant le congrès, un drôle de monsieur, Jean-François Zobrist, d’une entreprise française nommée FAVI, vient présenter sa vision du leadership. Un peu curieux avec des propos très provocateurs pour des esprits d’entrepreneur qui ont toujours appris que le contrôle n’est que la seule voie. Il vient perturber tout le monde. Au 5 à 7 après la réunion, tout le monde ne parle que de M. Zobrist. C’est impossible pour tous, mais personne n’a envie de fermer la porte, surtout avec les chiffres incroyables de son entreprise, dans un domaine aussi compétitif. Le lendemain, un autre entrepreneur, Alexandre Gérard, de ChronoFlex, vient nous parler. On a affaire à un gars plus classique, moins provocateur. Un homme crédible qui nous parle de la même histoire. C’est suffisant pour Vincent, on doit foncer maintenant.
Retour au bureau
Dans la fin de semaine, Vincent est complètement perturbé. Toute sa vision de gestion autonome a enfin trouvé des exemples auxquels se rattacher. Il en parle avec son associé Marco durant la fin de semaine. Comme lui, Marco y voit la seule vraie voie à suivre. Ni l’un, ni l’autre n’a un égo démesuré et ne désire devenir un souverain. Marco est un homme très humble et aime beaucoup s’amuser. L’idée même de diriger des gens n’est pas un objectif de vie de deux copropriétaires. Ils décident donc, d’un commun accord, que lundi, à la minute que la dernière personne sera arrivée au bureau, les deux patrons ne prendront plus aucune décision. Plus rien.
Ils engagent leur comptable et décident de donner une formation à tous les employés pour savoir comment on consulte des états financiers. La formation se donne sur les états financiers existants. Nous sommes à un mois avant la fin d’une année financière. Tout le monde a la surprise d’apprendre que malgré un premier 6 mois en force, l’entreprise va finir son année à 0 dollars de profit. Même que pire, elle perd présentement de bonnes sommes tous les mois, à cause d’un projet qui ne fonctionne pas du tout comme prévu. Tout un début pour tout le monde !
Une crise de leadership se forme assez rapidement. Les 2 copropriétaires décident quand même de dire au groupe que maintenant l’entreprise leur appartient et qu’ils seront là pour les supporter dans leur décision, mais ne prendront plus de décisions seules. Les actionnaires décident même de redonner une partie des bénéfices de l’entreprise. S’organisent alors plusieurs chantiers. Les employés décident des dollars à dépenser en marketing, la gestion du bâtiment, les salaires des employés, les salaires des propriétaires, les objectifs de vente, les clients à garder ou à ne plus servir. Plus aucune décision ne peut se prendre sans en discuter. Le calme revient vite et la motivation des gens monte. Le projet qui donnait autant de misère et de perte financière retourne à un niveau moins catastrophique. Les dépenses de l’ensemble de l’entreprise diminuent. Les ventes par mois se mettent à battre tous les records. Les profits sont de retour. Un scénario de rêve, pour deux entrepreneurs qui étaient à se demander s’ils étaient toujours les bonnes personnes pour être les leaders de RG.
Les choses à venir
Pour le futur, il reste à mettre par écrit les nouvelles règles de vie de RG, afin de s’assurer que celles-ci seront bien transmises aux futurs employés. Aussi s’assurer que les mécanismes de décisions soient acceptés par tous et bien compris.
Est-ce que la compagnie va réussir à avoir de la croissance de son nombre d’employés et de vente dans le futur avec ce modèle d’affaires ? Le tout reste à voir !