Ce post s’adresse aux chercheurs, et plus particulièrement aux jeunes chercheurs.
Depuis quelques temps, je reçois beaucoup de messages de jeunes se lançant dans leur travail de recherche et qui me posent de nombreuses questions, suite à la lecture de « Liberté & Cie ». Ceci est inévitable, car ce livre n’est pas destiné aux chercheurs mais aux leaders et acteurs d’entreprise. Par conséquent, l’écriture et la structuration d’un tel livre poursuit l’objectif d’intéresser le lecteur-leader et de l’amener à mettre en œuvre les leçons de libérations d’entreprises, inspirées par d’autres leaders, afin d’inventer son propre chemin.
Non seulement, nous, auteurs, avons éliminé du livre beaucoup d’éléments « trop » académiques mais, le rédacteur de la maison d’édition américaine, qui a publié l’original aux Etats-Unis, en a fait autant. La qualité du livre, disait-il, se voit par ce qui reste « on the cutting floor», faisant ainsi référence à la phase du montage d’un bon film dans laquelle, par le passé, tous les morceaux de la pellicule qu’on coupait étaient jetés par terre.
Que peut alors faire un vrai chercheur dont l’intention est d’explorer davantage le phénomène de libération d’entreprises, qui rencontre un vif succès en France ?
Deux choses.
Primo, tous chercheurs regardent, en parallèle, s’il y a un article académique écrit par un auteur de l’ouvrage. Non seulement les articles académiques sont spécifiquement écrits pour les chercheurs, mais sont passés par le fameux peer review et ont intégré les remarques des chercheurs-relecteurs pour être au niveau de la revue académique visée. Ces articles ont aussi l’avantage d’être plus courts car un chercheur a vocation à lire énormément et n’a physiquement pas le temps de lire un livre sur chaque sujet qui l’intéresse.
Sur le sujet de la libération d’entreprises, j’ai écrit deux articles académiques. Le premier “Liberating leadership: How the initiative-freeing radical organization from has been successfully adopted” est paru en été 2009 dans la California Management Review quelques mois avant la parution de la version originale du livre Freedom, Inc. aux Etats-Unis. En 2010, cet article a gagné le prix annuel Syntec du Meilleur Article Académique publié par un chercheur basé en France (catégorie : Management, HR, Organisation) et il a été republié en français sous le titre de « Le leadership libérateur, forme radicale d’organisation » dans l’Expansion Management Review.
Le choix du titre de cet article ne fut pas anodin. A la différence du titre du livre Freedom, Inc., choisi en accord avec l’éditeur afin d’attirer les lecteurs potentiels, le titre de l’article reflète le sujet véritable de cette recherche : l’approche du leadership nécessaire pour mettre en place la forme organisationnelle appelée, depuis, « entreprise libérée » (traduction française de termes de « freedom, inc. » ou de « liberated company »). J’explique aussi dans cet article comment cette recherche, visant au début à comprendre le fonctionnement des « entreprises libérées » et ayant pour objet les formes organisationnelles, est devenue, au fur et à mesure des investigations, une recherche sur le leadership, et surtout sur cette forme spécifique de leadership transformationnel que j’ai appelé « libérateur ».
Un autre article académique que j’ai écrit sur le sujet de la libération d’entreprises s’intitule « La liberté d’action des salariés : une simple théorie ou un inéluctable destin ? » et est paru en 2012 dans la revue Gérer et Comprendre.
Secundo, étant donné que la méthodologie de recherche utilisée dans ces deux articles est ethnographique (basée sur des études de terrain), il serait judicieux, pour tous les chercheurs voulant allez plus loin, qu’ils observent et étudient sur le terrain les entreprises libérées et qu’ils rencontrent personnellement leurs leaders. Voici ce que dit un grand physiologiste et Prix Nobel, Ivan Pavlov :
Les chercheurs en sciences naturelles qui ont fait beaucoup de travail [expérimental] par eux-mêmes, en se confrontant directement au terrain, éprouvent une difficulté à communiquer sur les choses qu’ils n’ont pas examinées en personne. En effet, il y a une différence énorme entre [le savoir] qui provient de sa propre investigation et le savoir qui vient de l’écrit des autres. Cette différence est tellement flagrante qu’on devrait éprouver une vraie gêne à communiquer sur les choses qu’on n’a pas observé ni examiné en personne.
Pour comprendre la libération des entreprises, il faut donc rencontrer, observer et étudier les leaders libérateurs—ces patrons qui ont co-construits avec les salariés ce type d’entreprises. Les étudiants de mon école qui écrivent leur mémoire de fin d’études le font, par exemple. Personne n’a dit que faire de la recherche sur le leadership en entreprise et développer sa propre compréhension du sujet, était chose facile. Il y a un prix à payer pour faire progresser la connaissance.