Liberté et performance, un duo gagnant en entreprise

par Muriel JASOR

« Les Echos » 7 FEVRIER, 2012

Quel est le point commun entre des entreprises aussi différentes que W.L. Gore & Associates, Harley-Davidson, la SSII française GSI, la PME du nord de la France Favi ou encore Sol, une entreprise de nettoyage finlandaise ? « Toutes sont performantes, avec des retours sur investissement élevés et un taux de rotation des salariés extrêmement bas », répond Isaac Getz, professeur de Stratégie à l’ESCP Europe. La raison ? « Ces entreprises témoignent toutes de la considération et du respect à leurs salariés et ce ne sont pas de vains mots », insiste-t-il.

Pendant quatre années, Isaac Getz et Brian M. Carney ont examiné le développement d’une dizaine de sociétés performantes en France, en Belgique, en Finlande et aux Etats-Unis. Ils y ont consacré un livre qui sort demain en librairie (1). « Les entreprises les plus performantes sont agiles, démantèlent la bureaucratie et savent créer un environnement au sein duquel les salariés peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes et intérioriser les exigences et les valeurs de l’environnement de travail dans lequel ils évoluent. »

Ce qui contraste fort avec le vécu traditionnel du milieu professionnel, où trop de personnes se sentent « étouffées, entravées, contrariées et paralysées » par de bien trop nombreuses normes et règles. Autant de contraintes qui leur donnent l’impression de ne pas contrôler leur vie professionnelle et qui engendrent stress, fatigue et démotivation.

Un moteur : l’autodirection

Dans les entreprises que Brian M. Carney et Isaac Getz qualifient de « libérées », l’un des moteurs clefs des collaborateurs est « l’autodirection ». C’est cette dernière qui leur permet de se sentir plus efficaces et de travailler dans un climat de respect mutuel et de confiance réciproque. Autant d’autonomie, de responsabilisation et de valorisation de soi qui rendent le lien de subordination plus agréable à vivre.

« Dans de telles sociétés, les salariés développent leur plein potentiel, observe Isaac Getz. Mieux, cet environnement de travail favorise leur autosubordination au projet d’ensemble de l’entreprise. » La société tire alors des bénéfices de salariés qui trouvent dans leur poste matière à satisfaire leurs besoins d’autonomie, de responsabilisation et de compétence. Trois besoins clefs que les psychologues Edward Deci et Richard Ryan ont, en leur temps, mis en exergue dans leurs travaux.

« Dans ces entreprises, l’inhibition et la peur disparaissent, comme tout ce qui laisse penser que l’on ne fait pas confiance aux gens », insiste Isaac Getz. Chez Sol, une société de nettoyage de bureaux finlandaise, les salariés ont longtemps souffert d’un manque chronique de considération. Consciente de cette situation, Liisa Joronen, le PDG de l’entreprise, a choisi de faire évoluer l’organisation. Au lieu de travailler la nuit, les salariés se sont mis à nettoyer les bureaux le jour et donc à entrer en contact direct avec les entreprises clientes. « Petit à petit, certains se sont pris au jeu. Ils ont répertorié des demandes spécifiques de clients, puis demandé des formations, jusqu’à assister des commerciaux dans leurs travaux ! » relate Isaac Getz. Tout sentiment d’aliénation a alors disparu au point de faire naître, dans l’esprit des salariés, une légitimation progressive du lien de subordination.

« Attention toutefois, les entreprises libérées ne conviennent pas à tout le monde », prévient Isaac Getz. Certaines structures aux hiérarchies rigides et au fonctionnement exclusivement vertical n’adopteront jamais ce modèle. Et pour ce qui concerne les salariés, il faut être en présence de « véritables » adultes. « Vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui cherchent des papas et des mamans dans le milieu du travail ! » s’étrangle Isaac Getz.