Michel Serres sur l’homme libre
Le 19 juin, dans ses « Petites chroniques du dimanche soir » sur France Info, Michel Serres a parlé de la différence qui existe entre l’homme objet vis-à-vis de l’état et l’homme sujet vis-à-vis de celui-ci. Dans le premier cas nous avons un état autoritaire et dans le deuxième cas l’état libre.
Je ne suis pas partisan de l’analogie entre la relation de citoyen-état et celle de salarié-entreprise. Elle ne tient pas dans sa globalité ne serait-ce que pour la raison d’un contrat signé et choisi par le salarié et par l’entreprise (c’est pour cette raison aussi que je n’aime le terme « entreprise démocratique »). Mais parfois, un rapprochement peut éclairer un point spécifique.
Je n’arrive pas à me remémorer exactement ce que Michel Serres a dit sur le radio mais je cite ici un paragraphe qu’il a écrit sur ce thème :
Pendant des siècles, ne pouvaient ester en justice que les mâles adultes faisant partie d’une classe sociale excellente : citoyens grecs et romains, nobles, bourgeois… à l’exclusion des esclaves, des étrangers, des femmes et des enfants, des pauvres et des misérables… Peu à peu, certaine libération a permis à ceux-là de devenir sujets de droit, c’est-à-dire majeur devant la justice et autres services publics. J’ai honte de mon pays, qui m’enseigna toute ma jeunesse l’établissement du suffrage universel, alors que les femmes n’y eurent pas le droit de voter avant 1946 ; il fallait même une autorisation signée du mari pour qu’elles obtiennent un compte en banque.
Toute cette histoire se termine, au moins en théorie, par la célèbre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, édictée pendant la Révolution Française, et, à la sortie de la dernière guerre, par une Déclaration analogue publiée par l’UNESCO, mais, celle-là, universelle. Alors, en droit, tout le monde est sujet de droit.
Michel Serres dit par la suite que cette Déclaration n’est pas universelle tant qu’elle ne décide pas que tous les vivants et tous les objets inertes deviennent, à leur tour, des sujets de droit. C’est un vaste débat, mais si on reste concerné par l’homme uniquement, je considère qu’il y a encore des progrès à faire.
En effet, mon livre Freedom, Inc. (qui selon les dernières nouvelles sortira chez Fayard au 1er semestre de 2012 sous le titre « Entreprise libérée ») commence par l’article 1 de cette fameuse déclaration universelle :
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Je me pose la question suivante :
Les pratiques de management en vigueur dans les entreprises traditionnelles, traitent-elles l’homme en tant qu’objet ou sujet ? En d’autres mots, est-il traité en tant que ressource humaine ou être libre, égal aux autres en dignité, doué de raison de conscience, et vis-à-vis de qui l’entreprise agit dans un esprit de fraternité, c.à.d. en le traitant comme intrinsèquement égal ?